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COMMENT RÉSOUDRE LA DELICATE ÉQUATION ENTRE EVENEMENT SPORTIF ET ECO-RESPONSABILITE ?
Concevoir et organiser un événement sportif oblige aujourd’hui les organisateurs à se poser de nouvelles questions par rapport au territoire dans lequel il s’inscrit et en regard des mutations sociétales auxquelles il se doit de répondre. Tendre vers des événements sportifs éco-responsables apparaît comme l’ambition la plus souhaitable même si elle s’avère difficile à atteindre. Cet article vise à donner quelques éléments de contexte et à faire des propositions pour mieux agir.
Etre à la hauteur des enjeux contemporains de transition
Dans un contexte de transition sociétale et territoriale qui remet en cause le paradigme hypermoderne synonyme de surenchère permanente et responsable de l’augmentation des différentes formes de vulnérabilités individuelles et collectives, la notion de développement durable s’impose de plus en plus dans la société.
Nous utiliserons cette notion de développement durable car elle est aujourd’hui la plus usitée en dépit de son caractère flou et falsifiable. Elle ne peut, en effet, s’appuyer sur aucun consensus qu’il soit scientifique, économique ou politique. On parle aussi de développement raisonné, maîtrisé ou vertueux.
Les évènements sportifs n’échappent pas à ce questionnement sur leurs impacts territoriaux. S’ils cherchent toujours à répondre à des enjeux économiques de rentabilité, les organisateurs se préoccupent de plus en plus de l’acceptabilité sociale et environnementale de leurs événements par les populations habitantes des territoires concernés. Ils se sentent de plus en plus tenus à penser les événements qu’ils portent, à travers le prisme de l’éco-responsabilité. Mais ils sont souvent démunis face à cette nouvelle ambition car elle nécessite de nouvelles approches pour contourner les difficultés inhérentes à un changement de paradigme.
Une approche philosophique
Elle encourage à penser autrement l’évènement et son rôle sur un territoire en lien avec un rapport au monde différent qui véhicule des valeurs de respect de l’environnement et des humains. Il s’agit d’un changement d’attitude, de focale, de prisme qui irrigue tout l’évènement en couplant mieux l’économie avec les dimensions écologiques, sociales et culturelles.
Une approche systémique
Un événement sportif appartient à un écosystème d’acteurs aux intérêts divergents et se trouve toujours confronté à des réalités géographiques, économiques, humaines, environnementales et politiques qu’il ne peut oblitérer mais au contraire intégrer a fortiori lorsqu’il vise à devenir éco-responsable.
Une approche territoriale
Le caractère unique de chaque événement impose la mise en œuvre d’une démarche singulière car il n’existe pas de démarche universelle transférable d’un événement à l’autre et d’un territoire à l’autre. Chaque territoire a son histoire, son identité et des ressources qui lui sont propres. Le territoire est consubstantiel à toute stratégie d’éco-responsabilité.
Une approche publique
Les organisateurs ne sont pas les seuls concernés. Les collectivités locales, les industriels, les opérateurs du tourisme, les instances environnementales, les fédérations qui gravitent dans l’écosystème local doivent s’engager de concert sur un plan à court et moyen terme.
L’exemple des transports est très révélateur de cette obligation car il ne peut être résolu uniquement par les organisateurs lorsque l’enclavement géographique encourage à prendre sa voiture personnelle pour se rendre sur le lieu de l’évènement.
Une approche raisonnée
Elle concerne principalement les flux de personnes acceptées. Elle se heurte à un problème récurrent aujourd’hui hérité de notre tradition quantitativiste qui évalue la notoriété d’un évènement à l’aune du nombre de participants. Or, une gestion raisonnée des flux est le meilleur moyen de tendre vers l’éco-responsabilité. Elle permet, non seulement, de réduire sensiblement l’empreinte écologique sur le territoire car les transports pour se déplacer sur l’évènement sont responsables de 85% de l’empreinte carbone, mais aussi de minimiser les externalités négatives liées au nombre trop important de personnes présentes en même temps sur le même lieu (embouteillages, stationnement difficile, problèmes d’hébergement…). Elle contribue aussi à une meilleure acceptabilité sociale par les habitants qui se sentent moins envahis par l’évènement. Cette approche est plus difficile pour les évènements qui font venir des milliers de personne en même temps sur un site car les externalités négatives sont proportionnelles à la taille de l’événement. Gigantisme et démesure se conjuguent mal avec une recherche d’éco-événementialité.
Les organisateurs souhaitent être accompagnés mais aussi formés pour aller dans cette nouvelle direction. Il devient donc indispensable de réfléchir ensemble à l’élaboration d’une démarche éco-responsable adaptée à l’évènement proposé et au territoire d’inscription.
La difficulté à renoncer
Stabiliser les flux pour un événement de taille moyenne ou diminuer la voilure pour un événement de masse reste toutefois un objectif difficile à poursuivre pour les organisateurs, car il nécessite de renoncer en stoppant la croissance ou en revenant en arrière. Dans le premier cas, l’effort de stabilisation n’est pas évident à réaliser car il est très tentant de chercher à grossir pour assoir sa notoriété dans le paysage événementiel local voire national et s’affranchir de la concurrence. Dans le second cas, il n’est pas évident de décélérer par rapport à un évènement devenu une référence incontournable, pour les traileurs en mal de communion collective et de bénéfices symboliques, comme pour les acteurs locaux intéressés par la dynamique économique créée sur leurs territoires par une masse de coureurs, d’accompagnants et de spectateurs. La recherche du plus grand nombre reste encore trop souvent l’alpha et l’oméga des évènements sportifs. Elle répond à la logique hypermoderne du toujours plus et de la mise en spectacle des évènements qui trouve davantage d’écho auprès des médias lorsqu’ils regroupent beaucoup de monde. Le rayonnement l’emporte quasiment toujours sur le renoncement. Et le greenwashing vient masquer la réalité de la situation en renvoyant une image verte.
Des stratégies de verdissement ou « greenwashing »
Elles sont principalement observables dans la catégorie des Grands Evénements Sportifs Internationaux (GESI). Dans le domaine de la course à pied, deux événements symbolisent particulièrement cette tendance : le Marathon de Paris et l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB).
Le Marathon de Paris en est certainement l’un des meilleurs exemples avec sa stratégie élaborée de green-washing incarnée par « Schneider Electric » qui communique tous azimuts sur un « green marathon ». Du gigantisme du salon « Run expérience » tapissé de moquette verte au parcours transformé en parenthèse verte, tout est travaillé dans ce sens. Mais cet objectif écologique n’est qu’un écran de fumée car la course aux profits économiques réalisée grâce à l’inflation du nombre de coureurs inscrits (plus de 60000), du coût d’inscription (plus de 150 euros pour un dossard) et de l’ensemble des prestations proposées, reste très largement dominante. De même, le pourcentage croissant de coureurs étrangers (35% en 2024) contribue fortement à l’empreinte carbone élevée de cet événement.
Pour plus d’éléments se reporter aux articles suivants : « Le Marathon de Paris : un positionnement sportif et culturel au service de l’attractivité de la capitale », in Revue Marketing Territorial, n°8, Visée(s) touristique(s) de l’événementiel, paru en 2022 sous la plume d’Olivier Bessy et « Paris est en décalage avec les valeurs de sobriété », ITW d’Olivier Bessy, paru dans le Télégramme (01/04/2023)
L’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB) est aussi passé maître au fil du temps dans l’art du green-washing. En effet, conscients de la nécessité de préserver l’environnement du Mont-Blanc sensible à la pollution et au réchauffement climatique, les organisateurs de l’UTMB développent depuis le début une communication verte. Mais cette dernière est en contradiction avec la fréquentation grandissante de cet événements estimée à 100000 personnes aujourd’hui sur une semaine et le pourcentage record de coureurs étrangers (60%). Faire venir sur les sentiers et les routes du Mont-Blanc autant de monde et d’aussi loin, génère irrémédiablement des effets néfastes pour le territoire particulièrement vulnérable du Mont-Blanc. L’empreinte carbone de l’évènement se trouve être fortement amplifiée en raison d’une sur-fréquentation des lieux. Elle est évaluée par WWF en 2019 à 11 610 tonnes équivalent CO2, soit un chiffre catastrophique qui équivaut au bilan d’un Grand Prix de Formule 1 » (Reporterre, 28/08/2023).
Pour plus d’éléments se reporter à l‘ouvrage d’Olivier Bessy paru en août 2024 : « 20 ans d’UTMB. De la construction du mythe à l’incarnation d’un avatar de l’hypermodernité »
Alors, comment s’extirper de cette stratégie de greenwashing et ne pas s’inspirer de ces deux modèles ? Comment s’extraire de cette spirale non vertueuse ? Comment privilégier la qualité et faire preuve de davantage de sobriété dans un monde majoritairement gouverné par le toujours plus et la course au profit ?
L’option d’un changement radical de modèle économique
Changer de modèle économique est l’option proposée par Timothée Parrique dans son dernier ouvrage « Ralentir ou Périr » (2022). Il considère que la décroissance est inéluctable et qu’elle seule peut éviter la marchandisation à outrance en sortant du capitalisme. Il précise à ce propos :
« la marchandisationest une organisation spécifique de l’économie qui transforme tout en marchandises capitalisables. Mais ce mode d’organisation économique s’applique mal à certains biens et services. La marchandisation ne modifie pas seulement la gestion d’un produit mais aussi ses usages, les conditions d’accès à ce produit, et au final, l’essence même de l’activité ». Timothée Parrique « Ralentir ou Périr » (2022)
On peut donc faire l’hypothèse que ce modèle économique ne semble pas être le meilleur pour concevoir un événement qui peut être assimilé à un produit à forte valence humaine, sociale et environnementale. Car il génère une forme de découplage entre croissance économique et pression simultanée sur des ressources naturelles limitées et des conditions sociales dégradées, qui n’est plus viable aujourd’hui.
Jean-François Gouguet s’inscrit aussi dans cet esprit de penser autrement les événements sportifs, quand il écrit en 2015 : « A la place d’un modèle reposant sur la maximisation du profit, la compétition économique, c’est-à-dire la guerre de tous contre tous, il faudrait un modèle reposant sur la coopération permettant de sortir de l’hégémonie de l’économique, source de destruction du vivant et du lien social » (in L’avenir des grands événements sportifs : La nécessité de penser autrement, in revue juridique de l’environnement, pp 95-115.)
Ces deux approches sont séduisantes et inspirantes pour le futur mais elles nécessitent une révolution économique qui risque d’être longue à advenir tant le modèle capitaliste irrigue toujours nos modes de consommation et d’évaluation des performances des organisations événementielles. Alors comment agir à court terme ?
Le choix d’une voie hybride
Une autre option vise à essayer de conjuguer les logiques à l’œuvre dans notre société, en hybridant les modèles et notamment en trouvant un nouvel équilibre entre intérêts économiques, enjeux socio-culturels et exigences environnementales. Le défi à relever est de faire mieux sans tomber dans le toujours plus. S’inscrire dans ce nouveau paradigme nécessite de se poser en amont cinq questions.
Pourquoi organiser un événement éco-responsable ?
Quel est le concept que je souhaite développer par rapport à mon territoire ?
Comment je le mets en œuvre ?
Comment je communique ?
Et comment j’évalue le processus de progression et le résultat final obtenu ?
L’efficacité de cette voie repose sur l’élaboration d’une politique évènementielle engagée, cohérente et partagée par l’ensemble des parties prenantes de l’écosystème local et sur la mise en oeuvre d’une démarche d’ingénierie événementielle efficace pour améliorer le niveau d’éco-responsabilité de l’événement. Il est important à ce titre de ne pas brûler les étapes et de ne pas tomber dans le verdissement ou « greenwashing ».
S’engager dans une démarche innovante
L’efficacité de la démarche est suspendue à la définition d’une stratégie d’innovation sur le plan du concept proposé, de la communication réalisée et de la co-construction de la gouvernance. Si de nombreux évènements répondent plus ou moins aujourd’hui à ces trois exigences, il manque la plupart du temps un étage à la fusée de l’éco-resposabilité. Il s’agit de l’évaluation des résultats, car devenir un évènement éco-responsable ne se décrète pas mais se construit progressivement à partir du respect d’un cahier des charges qui propose des critères d’évaluation clairement définis. Elle est basée sur six champs d’intervention qui interagissent entre eux. Il s’agit de la préservation de l’environnement, de la justice sociale, de l’économie redistributive, de l’ancrage territorial, de la communication et de la gouvernance/formation.
Reste à préciser que cette évaluation commence bien en amont de l’événement, se déroule pendant et se termine après. Dans cet esprit, l’évaluation doit irriguer à 100% l’organisation de l’événement, de la conception, à la réalisation en passant par la gestion.
Des initiatives et des événements exemplaires
Des labels (Sport Planète en partenariat avec la MAIF) et des normes ISO se multiplient, des chartes d’engagement éco-responsable, des guides de bonnes pratiques et des cahiers des charges intégrant une évaluation du niveau de durabilité atteint commencent à voir le jour. Des organisateurs d’évènements entrent en résistance en empruntant davantage le chemin de l’éco-responsabilité. Des marathons verts tels que celui de Rennes, « Run for Planet », MAIF Ekiden de Paris porté par Sport Planète mais aussi des trails tels que la Volvic Volcanic Expérience (VVX) ou encore Les Templiers en sont de bons exemples (cf article sur le site).
Une évaluation envisagée dans un processus de progression
L’évaluation est avant tout formative car elle est réalisée chaque année pour donner des repères aux organisateurs en identifiant les points fort et les points faibles et par déduction les secteurs de progression, ce qui permet de définir les axes de travail prioritaires pour la suite. L’évaluation finale de nature sommative a lieu au bout de trois ans. Elle vise à évaluer le niveau atteint dans les six champs d’intervention déclinés en 12 indicateurs et 60 critères. On peut alors situer le niveau d’éco-responsabilité atteint par l’évènement par rapport à 5 niveaux prédéfinis (très faible, faible, moyen, élevé et très élevé), sachant que le maximum se situe à 300 points et que le label « évènement éco-responsable » est obtenu à partir du niveau élevé égal à 200 points. Cette démarche d’évaluation du niveau d’éco-responsabilité d’un événement est présentée en détail dans un chapitre d’ouvrage à paraître en janvier 2025 et qui sera présenté dans un prochain post.
Reste à préciser que la mise en œuvre de cette démarche d’évaluation passe nécessairement par la mise à disposition en amont et pendant l’évènement d’une expertise extérieure, de moyens humains afin de réaliser un travail d’équipe mais aussi de moyens financiers dans le but de pouvoir rémunérer le travail supplémentaire accompli.
Quelques préconisations
Au-delà la mise en œuvre de cette démarche d’accompagnement et d’évaluation, dix pistes d’action peuvent être proposées pour s’inscrire dans la démarche d’éco-responsabilité et commencer à agir concrètement.
1. Déconstruire le mythe de la croissance qui rend un évènement forcément plus connu et se centrer sur la qualité, synonyme de valeur ajoutée aux coureurs
2. Sortir de l’événement sportivo-sportif, du « fait du prince », du « one shot » ou encore de l’événement en apesanteur sociétale et territoriale que l’on peut qualifier de soucoupe volante,
3. Réunir les conditions pour construire un événement qui ne soit pas seulement une ressource touristique mais plutôt une ressource territoriale afin qu’il joue un rôle de levier bien plus important pour le territoire
4. Passer du paradigme productiviste limité à une économie sportive au paradigme territorial qui englobe toutes les dimensions du territoire
5. Repenser les liens avec les habitants qui subissent trop souvent l’événement
6. Co-construire l’évènement en favorisant les espaces de discussion pour écouter les différentes parties prenantes et confronter des représentations différentes
7. Faire davantage preuve de minimalisme en diminuant le nombre de courses organisées au sein d’un même événement et le nombre de coureurs inscrits car par ricochet c’est le nombre d’accompagnants et de spectateurs qui augmentent et multiplient les transports
8. Réserver 50% des dossards aux coureurs qui se déplacent en train ou en co-voiturage
9. Modifier les fréquences de programmation en organisant les évènements que tous les deux ans
10. Alterner les espaces de départ et d’arrivée des courses afin de concerner de manière plus équitable l’ensemble du territoire d’inscription.
Devenir un événement éco-responsable s’impose aujourd’hui car des critères d’éco-conditionnalité vont de plus en plus être imposés par les pouvoirs publics, autant les anticiper. Ne peut-on pas alors considérer que les évènements de demain, sont les évènements éco-responsables d’aujourd’hui ?
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